L’Échoppe propose à ses adhérents un atelier de conversation en français tous les 15 jours, en plus de deux cours hebdomadaires d’initiation, niveaux débutant et intermédiaire. L’atelier fonctionne avec deux ou trois bénévoles en plus de l’intervenante, afin de travailler par petits groupes.
Faire connaissance
« Je m’appelle Rehab, et toi ? », « Tu veux jouer avec moi ? », « 1-2-3, pierre-feuille-ciseaux »…
Ils sont huit, à jouer, deux par deux : Cristovao qui vient d’Angola, Fatoumata de Guinée, Gohar d’Arménie, Helena de Géorgie, Julia d’Ukraine, Lumnije et Bessa du Kosovo, et Rehab de Syrie.
Au milieu, il y a Wenxin, qu’on appelle Laure. Elle est chinoise, parle français sans accent et, pour briser la glace, elle a choisi ce jeu venu de Chine il y a très longtemps, qu’elle fait suivre d’un jeu de balles où tous s’interpellent par leurs prénoms, de plus en plus vite.
Les mots de l’exil
La glace a fondu entre les huit locuteurs de sept langues différentes, tous adhérents de l’Échoppe.
D’habitude, ils viennent le jeudi chercher un colis alimentaire, mais ce mercredi ils sont venus pour autre chose, tout aussi nécessaire à leur vie : parler français.
Ils ne se parlaient pas avant. Les voilà maintenant qui évoquent ensemble leur exil, difficilement, le pays aimé et abandonné dans la douleur, la famille qui les soutient, « mes parents », « mon fils », « les amis », « la liberté »… des mots français qu’ils répètent pour dire avec émotion ce qui les fait vivre et espérer, alors que l’un est débouté du droit d’asile malgré son passé d’activiste sous une dictature, que d’autres ont fui les bombes et les massacres, l’oppression ou la misère.
Des dates et des cultures
Le sujet du jour : les jours fériés… On parle du 1er janvier, puis du 1er mai, qui permet d’aborder le travail, celui qu’on faisait là-bas et qu’on n’a pas le droit de faire ici, faute d’autorisation administrative. On parle du 14 juillet, et me voilà qui raconte : le roi de France, la révolution, la prise de la Bastille… « Liberté, égalité, fraternité », ça leur parle. Mais chez eux, la fête nationale, le 2 octobre en Guinée ou le 11 novembre en Angola, c’est la fête de l’indépendance et le départ des colons européens, français ou portugais… À chaque peuple sa libération…
Et puis il y a le 1er novembre, alors on parle des morts qu’on vient honorer en France avec des chrysanthèmes, et là, les regards se voilent. Quand ira-t-on se recueillir sur la tombe des parents tombés là-bas, si elle existe ?
Le français, ce lien
Tout sujet de conversation, hésitant ou chaotique par manque de mots, porte sa part d’ombre et de souffrance retenue. Mais l’enseignante et ses aides bénévoles sont là pour faire avancer les idées, donner le mot juste, faire répéter, retrouver la gaieté de l’échange.
Être ici, apprendre le français, avec d’autant plus de difficulté qu’on n’est pas allé beaucoup à l’école là-bas, c’est ouvrir une fenêtre vers ce pays d’accueil où règnent encore la paix et la démocratie, et où on aimerait tant faire son nouveau nid, travailler, vivre libre et autonome comme les citoyens français.
Un souhait d’intégration qui parait tellement légitime en les écoutant, mais ceux qui votent les lois les ont-ils jamais écoutés ?
L’enseignement du français à l’Échoppe a commencé par une expérimentation de 6 mois, en janvier 2023 et a vite pris son envol, porté par cette jeune Chinoise protestante de 23 ans, qui enseigne par le jeu et le rire, l’écoute et le respect, avec foi et dans la joie.
Et le miracle, c’est que les adhérents retrouvent le sourire quand on leur parle français en leur donnant leur colis, qu’ils osent dire quelques mots, et surtout qu’ils se reconnaissent entre eux et se saluent, entre Kosovars et Arméniens, Ukrainiennes et Guinéennes, Angolais et Syriens, chrétiens et musulmans, dans cet espace multiculturel et bienveillant qu’est l’Échoppe.
Elisabeth Olléon, bénévole à l’atelier de conversation